L'émotion transcende les protocoles.

Ceux qui ont vu la scène en ont été touchés, d’autres, plus prompts à juger qu’à comprendre, s’en sont indignés. Et pourtant, l’accolade spontanée entre Aïssata et Sidi Ould Tah, au moment où ce dernier accédait à la présidence de la Banque Africaine de Développement, n’est ni un affront aux convenances ni une dérive calculée. C’est un réflexe humain, un geste de soulagement, un cri silencieux d’histoire partagée. Ce n’est ni plus ni moins qu’une damʿat al-intisār, une larme de l’accomplissement.

Dans l’univers hassanien, le corps parle. Il parle en silence, par le regard, par le geste, par la larme. Ce que beaucoup ont vu à Abidjan n’était pas une transgression, mais une inscription : celle d’un moment d’intense charge émotionnelle, porté par des années d’engagement, de travail acharné et d’espérance nourrie dans l’ombre.

Aïssata n’était pas une spectatrice de ce parcours : elle y a cru, elle s’y est engagée. Elle fut de ceux qui ont porté la candidature de Sidi Ould Tah depuis ses balbutiements, au sein de l’équipe de campagne, avec ténacité et loyauté. Son geste n’est pas seulement celui d’une compatriote fière ; il est celui d’une militante du mérite, d’une actrice de l’ombre voyant son combat récompensé. Cette accolade, si brève soit-elle, traduisait une forme de délivrance intérieure, un aboutissement personnel. Elle ne violait pas un code moral : elle révélait un code affectif, sincère, enraciné dans la profondeur des liens tissés dans l’effort.

D’ailleurs, la scène n’est pas sans rappeler un autre épisode marquant de notre diplomatie : celui des youyous lancés avec ferveur par notre ancienne ambassadrice à Addis-Abeba, à la fin du discours du Président lors de la clôture de son mandat à la tête de l’Union Africaine. Là encore, il s’agissait d’une expression spontanée, populaire, féminine, authentique ; une manière de célébrer un moment historique en se réappropriant, à travers le cri de joie, une part du récit national. Ce ne sont pas des faux-pas, ce sont des fragments d’histoire vivante, échappant aux carcans figés du protocole pour rejoindre la mémoire collective.

Il faut savoir lire ces gestes avec une grille culturelle large et généreuse, et ne pas les interpréter à l’aune de filtres moralisateurs souvent étrangers à nos traditions. Dans nos sociétés africaines, le nom, la larme, l’accolade ou le youyou ont tous une fonction symbolique forte. Ils disent l’appartenance, la mémoire, la fierté et parfois même la délivrance.

Aïssata n’a pas eu besoin de mots. Sa larme, son geste, valaient tous les discours. Dans un monde saturé de bruit et de faux-semblants, c’est parfois le corps qui parle le plus vrai. Et cette vérité-là mérite d’être comprise, honorée, et transmise.

Haroun Rabani 

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