À la frontière entre le Mali et la Mauritanie, des femmes réfugiées commencent à évoquer des violences sexuelles subies pendant le conflit, mais les organisations humanitaires estiment que la majorité des abus restent tus. Le cas d’une adolescente de 14 ans, arrivée en état critique dans une clinique de fortune après une agression présumée commise au Mali, illustre la gravité de la situation et les conséquences parfois mortelles du silence.
Selon sa famille, la jeune fille aurait été violée par des combattants russes appartenant à l’Africa Corps, une unité militaire placée sous l’autorité du ministère russe de la Défense et qui a remplacé le groupe Wagner il y a environ six mois. Restée plusieurs jours sans soins après l’agression, elle souffrait d’une infection grave et d’un état de choc lorsqu’elle a finalement été prise en charge par une équipe médicale en Mauritanie.
Les Nations unies et les travailleurs humanitaires affirment que des violences sexuelles ont été commises par l’ensemble des parties impliquées dans le conflit malien, qui dure depuis plus de dix ans. Des témoignages font état de viols collectifs et d’esclavage sexuel. Toutefois, dans des sociétés conservatrices et patriarcales, la honte et la peur des représailles dissuadent de nombreuses femmes de demander de l’aide ou de signaler les faits, compliquant aussi toute tentative de poursuites judiciaires.
Lors d’entretiens avec des réfugiés, l’Associated Press a recueilli plusieurs accusations visant des combattants de l’Africa Corps, souvent désignés par les civils comme « les hommes blancs ». D’autres groupes armés sont également mis en cause. Dans la région de Mopti, une clinique spécialisée a soigné ces six derniers mois des dizaines de femmes affirmant avoir été agressées par des militants affiliés à un groupe lié à Al-Qaïda, le plus puissant mouvement armé du pays.
Le silence des réfugiées contraste avec d’autres zones de conflit, comme l’est de la République démocratique du Congo, où les survivantes se présentent plus massivement dans les structures de soins. En Mauritanie, des milliers de femmes et d’enfants maliens vivent aujourd’hui dans des abris précaires, tandis que les camps officiels sont saturés, rendant l’accès aux soins et le signalement des violences encore plus difficiles.
Plusieurs femmes interrogées ont confié, à voix basse, avoir été attaquées, menacées ou avoir vu leurs proches enlevés. Certaines portaient des marques visibles de lutte, mais refusaient de raconter leur histoire ou de s’adresser à des travailleurs humanitaires, disant ne pas être prêtes à parler. Les autorités russes n’ont pas répondu aux accusations, tandis que des médias pro-Kremlin ont qualifié ces témoignages de désinformation.
Les allégations de violences sexuelles impliquant des combattants russes ne sont pas nouvelles. En 2023, un rapport des Nations unies faisait état de dizaines de femmes et de filles violées lors d’une opération à Moura, avant que le gouvernement malien n’expulse la mission de l’ONU, rendant la collecte d’informations encore plus complexe. Pour les humanitaires, la crainte est que de nombreuses survivantes ne parlent jamais. « Le conflit devient de plus en plus brutal, avec un mépris croissant pour la vie humaine », alerte une responsable de Médecins Sans Frontières, résumant un combat mené autant contre la violence que contre le silence.