Actuellement à la retraite, M. Ball Mamadou a été successivement Interne des hôpitaux de Dakar, Assistant des CHU de Dakar et de Bordeaux, Professeur à la faculté de médecine de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar avant de devenir conseiller au bureau régional de l’OMS à Brazzaville.
Il devient ensuite Représentant de l’OMS dans plusieurs pays. Il préside actuellement la société mauritanienne de Dermatologie. Rentré au pays en 2011, ce spécialiste a initié l’enseignement de la Dermatologie à la Faculté de Médecine de Nouakchott.
Le Calame : Le gouvernement mauritanien vient d'interdire l'importation de produits dépigmentant dans le pays. Comment le spécialiste en dermatologie-vénérologie que vous êtes a-t-il accueilli cette décision ?
Professeur Ball Mamadou : La Société mauritanienne de Dermatologie (SMD) salue cette décision qui constitue un pas important dans la lutte contre la dépigmentation volontaire. Il faut du reste noter que notre Société qui travaille depuis longtemps contre ce fléau avait aussi participé récemment, sous l’égide du Ministère de la Santé, à une journée de réflexion sur ses méfaits dans notre pays.
En raison du caractère multisectoriel que doit revêtir cette lutte, plusieurs participants avaient également été conviés à cette journée : les ministères des Finances, du Commerce, des Affaires religieuses, de la Communication ; des représentants de la Société civile ainsi que des organisations internationales notamment l ‘Organisation mondiale de la santé. À l’issue de cette journée un plan fut adopté, avec pour chaque secteur des actions concrètes à mener.
La SMD salue le leadership de madame la ministre de la Santé pour la diligence avec laquelle le volet concernant son département est mis en œuvre et souhaite ardemment que chacun des autres secteurs s’y engage tout aussi pleinement, en jouant à fond le rôle qui lui est dévolu.
Pouvez-vous expliquer en quelques mots ce qu’est la dépigmentation volontaire ?
- La dépigmentation volontaire, encore appelée dépigmentation artificielle, regroupe un ensemble de pratiques qui concourent à la modification de la couleur de la peau pour qu’elle devienne plus claire voire plus blanche. Contrairement aux autres problèmes de santé, elle est le résultat d’une initiative personnelle dans un but esthétique, avec cependant un impact sur la santé publique étant donné les nombreuses conséquences qui en résultent, ainsi que le nombre toujours croissant de personnes concernées.
Le secteur de la santé est concerné par cette pratique en raison des complications qui en découlent mais aussi de l’utilisation inappropriée et volontairement détournée de certains médicaments. Divers produits utilisés dans ce cadre entrent frauduleusement dans le pays et il faut espérer que les autorités compétentes vont pouvoir désormais limiter, à partir de cette circulaire du ministère de la Santé, au maximum leur pénétration.
Voilà pourquoi les secteurs du commerce et de la douane sont concernés, tout comme les secteurs de la communication ainsi que la Société civile. Lors de cette journée de sensibilisation, le ministère chargé des Affaires religieuses s’est également engagé à lutter contre cette mode contraire aux préceptes de notre religion.
Combien de produits ou de classes de produits sont concernés par cette mesure ?
Plusieurs produits et méthodes sont concernés. Il y a des produits médicaux détournés de leur usage normal mais aussi tout une variété d’autres utilisés à cette fin. Certains font l’objet de publicités vantant la promotion d’une belle peau mais sont en réalité des appels plus ou moins déguisés à la dépigmentation artificielle.
À votre avis, comment mettre en œuvre cette mesure quand on sait combien les frontières sont poreuses ?
- Les autorités en charge de la douane et du commerce répondront plus correctement à cette question. Ce que je peux dire, c’est qu’il y a une forte demande touchant les diverses couches de notre société et que le trafic de ces produits reste donc lucratif. Le combat sera long et difficile car il s’oppose à des intérêts économiques importants.
Quel rôle la SMD dont vous êtes le président pourrait-elle jouer dans ce combat ?
- Tous les dermatologues mauritaniens font face quotidiennement aux complications liées à la dépigmentation volontaire et font ce qui est possible pour en soulager les effets néfastes. À chaque occasion, ils expliquent et contribuent à prévenir ce véritable fléau. Il faut cependant rappeler la vraie question : pourquoi des personnes ne sont pas contentés de la couleur de leur peau et décident de mettre en œuvre divers procédés pour la changer ?
Les dermatologues attirent l’attention sur les risques liés à cette pratique, risques hélas ignorés par la plupart des personnes. Il est à noter que la dépigmentation volontaire dépasse à coup sûr le volet santé et il est nécessaire de développer une prévention de grande ampleur car, rappelons-le, toutes les couches de la population et différents secteurs sont concernés.
La dépigmentation artificielle prend de l'ampleur. Même les hommes s'y mettent. Comment expliquer cette tendance ? Pouvez-vous nous dire les maladies ou les dangers auxquels s’exposent ceux qui s’y adonnent ?
- Oui, toutes les études menées ici et ailleurs en Afrique confirment que la dépigmentation artificielle prend de l’ampleur. Dans notre pays, nous pouvons dire avec certitude qu’elle concerne tous les segments et secteurs de la société. Nous en constatons quotidiennement les complications qui peuvent être non seulement locales et donc limitées à la peau mais aussi générales et concerner d’autres organes, tel le rein par exemple.
Certaines des complications locales vont malheureusement constituer des séquelles inesthétiques permanentes. Notre message est le suivant : toute tentative de modification de la couleur de la peau donne, au mieux, des résultats transitoires et, au pire, des complications parfois inaccessibles à tout traitement.
Propos recueillis par Dalay Lam