Réinventer l'agriculture mauritanienne pour une justice sociale réelle

Il y a quelques mois, dans un village aux abords du fleuve, un vieil homme me disait avec lucidité : "Nos enfants partent parce qu'ils ne voient plus ce que nous voyions." Ce que lui voyait, c'était une terre nourricière, un peuple digne, et une promesse d'avenir.

Ce que ses enfants voient aujo1urd'hui, c'est un désert administratif, une capitale saturée, et une nation qui peine à regarder dans la même direction. L’agriculture en Mauritanie ne peut plus être reléguée au rang de secteur secondaire.

Elle constitue aujourd’hui un axe stratégique incontournable pour repenser notre modèle de développement, corriger les déséquilibres territoriaux, et réconcilier les Mauritaniens avec leur propre espace national. Cette nécessité est d’autant plus urgente que les indicateurs économiques et sociaux actuels traduisent une impasse.

Selon les données de la Banque mondiale, le taux de chômage chez les jeunes (15-24 ans) dépasse les 32 %, avec des pics bien plus élevés dans les régions rurales du sud. Dans les wilayas du Gorgol, du Brakna ou du Guidimakha, plus de 60 % de la population vit sous le seuil de pauvreté.

Paradoxalement, la Mauritanie continue d’importer plus de 70 % de ses besoins alimentaires annuels, alors que des milliers d'hectares de terres arables demeurent en friche dans la vallée du fleuve Sénégal.

Ce paradoxe n’est pas que technique. Il est aussi politique, social, et historique. La marginalisation chronique des zones méridionales du pays, habitées majoritairement par des communautés noires, s’inscrit dans une longue série de déséquilibres institutionnels.

La centralisation excessive, les investissements asymétriques et les politiques publiques peu inclusives ont nourri un sentiment d'abandon structurel. Cela ne peut plus durer. Revaloriser ces régions par l’agriculture, c’est aussi faire œuvre de justice territoriale et redonner du sens à l’unité nationale.

Le potentiel est immense. Le Ministère de l’Agriculture estime à plus de 500 000 hectares les terres cultivables, dont moins de 20 % sont actuellement exploitées. La FAO rappelle qu’un investissement d’un million de dollars dans le secteur agricole peut générer jusqu’à 50 emplois directs et indirects. Mieux encore : les chaînes de valeur agricoles (production, transformation, commercialisation) constituent des viviers d’opportunités pour une jeunesse en mal de perspectives. Mais une condition essentielle s’impose : il faut sortir d’un modèle agricole figé.

L’agriculture doit être pensée comme une filière d’avenir, intégrant les outils technologiques (irrigation solaire, applications mobiles de suivi des cultures, systèmes climato-intelligents), les dynamiques de formation professionnelle, et les modèles d’entrepreneuriat rural. Le Sénégal, le Maroc ou le Rwanda démontrent que de telles réformes sont possibles lorsqu’elles sont pensées à l’échelle locale et dans une logique d'inclusion.

Au-delà des chiffres, c’est une question de récit collectif. Dans de nombreux villages du Sud, désormais connectés au réseau, une partie de la jeunesse ne se reconnaît plus dans les récits du travail agricole. Non par rejet de l’effort, mais parce que leurs pères ont peiné sans reconnaissance, sans avenir assuré. Il s'agit donc de proposer à cette jeunesse un nouveau récit : celui d’une terre porteuse de valeur, d’innovation et de dignité.

Il est temps aussi de déconstruire certains clivages dépassés : l’opposition stérile entre ville et campagne, entre emploi administratif et travail manuel, entre langues et appartenances. Le numérique a nivelé l’accès à l’information. Un jeune d’Hayré Goléré ,de Timbedra ou de Kaédi n’est pas moins informé ni moins ambitieux qu’un jeune de Nouakchott. Mais encore faut-il lui offrir des raisons d’espérer sur place.

Dans cette perspective, trois axes structurants doivent être explorés de manière coordonnée : 1. Un financement ambitieux et ciblé de projets agro écologiques dans les régions du Sud, avec une réforme de l’accès au foncier pour les jeunes, en mobilisant notamment les importants fonds du Ministère de la Jeunesse et de l’Emploi.

2. Une politique de formation professionnelle ancrée localement, incluant l’accompagnement entrepreneurial, en collaboration avec le service civique mauritanien WATANOUNA et le programme d’employabilité TECHGHIL.

3. Une gouvernance territoriale renforcée, qui intègre les collectivités locales, les organisations paysannes et les institutions de jeunesse dans la planification et l’exécution des politiques agricoles.

Revaloriser l’agriculture en Mauritanie n’est pas une utopie nostalgique. C’est une réponse réaliste aux déséquilibres socio-économiques, aux fractures identitaires et aux défis climatiques. C’est aussi une manière de repenser le pacte républicain : un contrat où chaque citoyen, où qu’il soit, compte également dans le destin collectif.

Ce n’est pas seulement de terres qu’il s’agit. C’est de justice. C’est de dignité. C’est de la jeunesse. Et c’est, surtout, de l’avenir du pays.

Mansour LY