Le Mauritanien, qui vient de quitter ses fonctions de président de la Badea, entre en campagne pour l’élection à la tête de la Banque africaine de développement. Il détaille son programme en exclusivité pour Jeune Afrique.
Il est le dernier à s’être lancé dans la course. Mais Sidi Ould Tah entend néanmoins remporter ce marathon. Le candidat mauritanien à la présidence de la Banque africaine de développement (BAD) vient tout juste de lâcher les rênes de la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (Badea), abandonnant une double casquette qui lui a été reprochée. « Lorsque l’on dirige une institution multilatérale de développement, on n’a pas le luxe de la quitter quand on veut, se défend celui qui l’a pilotée pendant une décennie.
Il fallait d’abord que je prépare ma succession et que la Badea passe par une série d’étapes essentielles : l’audit des comptes, son approbation par l’assemblée générale et par le conseil des gouverneurs, sans compter notre récente sortie sur les marchés. »
Maintenant que Sidi Ould Tah est remplacé à la tête de la Badea par le Koweïten
pour faire campagne pour décrocher la présidence de la BAD, l’élection ayant lieu fin mai à Abidjan. Dans ce cadre, il a entamé une tournée mondiale des gouverneurs des États actionnaires de la banque, qui l’a notamment amené à Paris. L’occasion d’un entretien au long cours avec Jeune Afrique.
Question : Pourquoi êtes-vous candidat à la présidence de la Banqueafricaine de développement ?
Sidi Ould Tah : J’aimerais apporter ma contribution au processus de transformation du continent que tout le monde appelle de ses vœux. Compte tenu de mon expérience, je sais ce qui peut contribuer à consolider le rôle de la banque.
JA : Quand on compare les différents programmes, tous les candidats semblent d’accord sur le constat et les solutions à mettre en œuvre. Comment comptez-vous vous démarquer ?
Sidi Ould Tah : Tous les candidats sont des personnes de valeur avec chacune une expérience à apporter. Mais je suis le seul à avoir dirigé une banque multilatérale de développement. Ces dix dernières années, j’ai profondément transformé une institution dont l’activité était modeste. J’ai multiplié par douze le volume annuel des approbations et par huit le volume annuel des décaissements. Les créances douteuses sont passées de plus de 10 % à moins de 0,5 %. Aujourd’hui, la Badea est une institution qui a l’une des meilleures notes de crédit existante.
Grâce à mes précédentes expériences au sein du gouvernement mauritanien, ou encore en tant que gouverneur dans d’autres institutions, j’ai une vision à 360° des problèmes de développement. Je connais les attentes des parties prenantes ainsi que leurs contraintes. Ces expériences permettent de réduire les délais d’apprentissage. Je serai opérationnel dès le premier jour.
JA : Quel regard portez-vous sur le bilan d’Akinwumi Adesina ?
Sidi Ould Tah : La BAD a beaucoup gagné en notoriété ces dernières années. Les high 5
répondent aux préoccupations de l’Afrique. Certaines initiatives, comme la Mission 300 ou Desert to power qui visent à électrifier le continent, sont importantes. Il est fondamental de bâtir sur les succès de ses prédécesseurs. Mais la BAD peut faire mieux et doit faire plus. Par exemple, en termes d’approbations annuelles, elle fait beaucoup moins que la Banque interaméricaine de développement ou la Banque asiatique de développement. Compte tenu du déficit en termes d’infrastructures et du retard en ce qui concerne l’atteinte des Objectifs de développement durable, c’est très préoccupant.
JA : Comment expliquez-vous ces écarts avec ses consœurs ?
Sidi Ould Tah : Il y a des raisons objectives, notamment celles qui tiennent à la taille du capital libéré et à la structure du bilan de la banque. Ce que je défends, c’est l’optimisation de ce bilan. Le développement d’outils innovants pour la levée des ressources est possible, une plus grande implication du secteur privé est possible, une plus grande mobilisation d’autres partenaires est possible. Il y a beaucoup d’options qui peuvent être envisagées pour donner de l’impulsion à l’institution.
Et surtout accroître de manière significative le volume de ses opérations.
JA : Quelle est votre recette pour y parvenir ?
Sidi Ould Tah : J’ai développé une vision pour la BAD que j’ai baptisée « Les quatre points cardinaux » : mobiliser les capitaux à grande échelle, réformer l’architecture financière africaine, transformer le dividende démographique en puissance économique et industrialiser le continent tout en valorisant ses ressources naturelles.
JA : Commençons par la mobilisation des capitaux. Comment comptez-vous vous y prendre ?
Sidi Ould Tah : Chaque dollar décaissé par la BAD doit correspondre à 10 dollars investis sur le terrain. Pour y parvenir, il faut nouer des partenariats très forts avec les actionnaires non régionaux qui sont déjà des appuis importants de la Banque mais dont les agences de développement ne sont pas suffisamment impliquées dans les projets qu’elle finance. Je pense aussi aux pays du Golfe, avec qui j’ai noué de fortes relations, et qui bénéficient d’immenses excédents de liquidités. Leurs fonds souverains brassent des milliers de milliards de dollars. Ils ont un fort intérêt pour l’Afrique mais ont besoin d’un partenaire comme la BAD pour atténuer le risque, réel ou supposé, associé au continent.
JA : Guerre commerciale, fin de l’Usaid, baisse des crédits alloués à l’aide au développement… Le contexte actuel n’est pas à l’optimisme pour la finance du développement. Peut-on faire mieux avec moins ?
Sidi Ould Tah : Je ne crois pas qu’on doive faire mieux avec moins. Je pense que l’on va faire plus avec plus. Chaque dollar d’argent public sera transformé en dix dollars d’investissements. Il faut oublier le modèle existant de l’aide publique au développement qui a montré ses limites et qui n’est pas soutenable en définitive.
Le contexte actuel est l’occasion pour l’Afrique de repenser son modèle de partenariat et de cesser d’être un continent qui reçoit de l’aide pour être un
continent qui établit une relation gagnant-gagnant. Cela nécessitera une plus grande implication du secteur privé et des investisseurs institutionnels avec le soutien de la Banque.
JA : Vous voulez réformer l’architecture financière africaine. Qu’est-ce que cela signifie ?
Sidi Ould Tah : Afreximbank est une création de la BAD. Aujourd’hui, il n’existe pas suffisamment de projets qui sont cofinancés par ces deux institutions. Il faut développer des synergies. Par analogie, nous pourrions comparer Africa finance corporation (AFC) à l’IFC, la filiale de la Banque mondiale dédiée au secteur privé, et encourager des co-financements entre les deux. La BAD devrait être un catalyseur, le chef d’orchestre de la mobilisation des ressources, puis de leur redistribution.
JA : En 2050, un homme sur quatre sera Africain. Comment faire de cette démographie une richesse ?
Sidi Ould Tah : 2050, c’est demain. Nous devons nous y préparer dès maintenant. Si cette jeunesse reste sans travail, à la marge, c’est un risque pour l’Afrique et le monde.
La pauvreté est déjà le terreau du terrorisme, de l’immigration clandestine. Cela ne fera qu’empirer. Il est vital de développer la formation technique et professionnelle, d’investir dans les chaînes de valeurs pour créer suffisamment d’emplois pour cette jeunesse.
JA : Quels sont les chantiers à mettre en œuvre pour améliorer la gouvernance de la BAD ?
Sidi Ould Tah : Si je suis élu, mes 100 premiers jours en tant que président de la BAD seront consacrés à des concertations élargies à Abidjan avec les actionnaires, les partenaires au développement, les institutions financières, les médias, la société civile, le secteur privé, etc. L’objectif est de faire un état des lieux précis pour voir ce que la BAD peut mieux faire en termes de redevabilité, de transparence et d’efficacité.
JA : Il est parfois reproché à la BAD de ne pas prendre suffisamment de risques pour conserver son AAA. Devrait-elle le faire ?
Sidi Ould Tah : Ce n’est pas forcément à la BAD de prendre plus de risques. Chaque risque doit être alloué à la partie qui est la mieux indiquée pour le supporter. Il y a aussi un certain nombre de mécanismes qui peuvent aider les banques à prendre plus de risques, ou à atténuer ceux qu’elles prennent. Il existe quelques institutions de garantie (AGF, Fagace, FSA, Atidi…) mais elles sont sous-capitalisées et ne couvrent pas tout le continent. Il est impératif de créer une agence africaine de garantie des risques. C’est une priorité car les problèmes d’accès aux financements, notamment pour les PME, sont liés aux problèmes de garanties.
JA : Le président sortant est décrit comme très démonstratif, alors qu’on vous dit plus réservé. Vous projetez-vous dans les habits de président de la Banque africaine de développement ?
Sidi Ould Tah : Il ne faut pas se définir par rapport aux autres. Il faut rester soi-même
Jeune Afrique