Narcotrafic, corruption et frontières ouvertes : la Mauritanie au bord de la rupture

Un scandale d'une ampleur inédite vient de secouer la Mauritanie, mettant à nu les failles profondes d’un système en déliquescence. À la faveur d’une série d’opérations menées récemment par la gendarmerie nationale, une affaire tentaculaire de trafic de psychotropes a été dévoilée, avec son cortège d’arrestations spectaculaires, de découvertes d’entrepôts clandestins et, plus inquiétant encore, de tentatives de corruption à hauteur de milliards d’ouguiyas, visant des agents des forces de sécurité. Loin de relever du simple fait divers, ce scandale met en lumière l’existence d’un réseau structuré et transfrontalier, dont les ramifications pourraient atteindre des sphères protégées et influentes. La sophistication de l’organisation, les moyens financiers déployés et la logistique employée indiquent une opération d’envergure, qui ne saurait prospérer sans complicités internes et défaillances institutionnelles graves.

Ce dossier explosif agit comme un révélateur : celui d’un malaise profond qui gangrène l’État. Il trahit l’impunité d’une partie des élites, la vulnérabilité des institutions publiques, et plus généralement, l’effritement de l’autorité de l’État. L’ampleur du trafic, les zones concernées, la passivité, sinon la complicité, de certains fonctionnaires publics dessinent un tableau inquiétant de l’administration mauritanienne, notamment dans les zones frontalières et dans les quartiers urbains réputés sensibles comme Sebkha, Arafat ou Dar Naim. À travers cette affaire, c’est toute la question de la souveraineté nationale qui est posée : frontières maritimes, terrestres et même aériennes semblent devenues poreuses, laissant libre cours aux flux criminels et à l’implantation de réseaux parallèles qui défient l’État dans ses fonctions régaliennes les plus fondamentales. Cette porosité, longtemps dénoncée par les spécialistes comme par les citoyens, nous a déjà causé d’énormes problèmes de sécurité et continuera à le faire tant que des solutions draconiennes et systémiques ne seront pas adoptées.

Mais le plus alarmant est sans doute le lien grandissant entre ce trafic de drogue et les menaces sécuritaires régionales. Le commerce des psychotropes ne constitue pas seulement une menace sanitaire, bien que celle-ci soit déjà dramatique pour les jeunes générations. Il touche également au cœur de la sécurité nationale. De plus en plus d’indices crédibles pointent vers une connexion entre les revenus générés par ces trafics et le financement de groupes extrémistes opérant dans la région sahélo-maghrébine. Ce triangle pernicieux : narcotrafic, enrichissement illicite et terrorisme ; pourrait devenir un catalyseur de déstabilisation pour le pays tout entier, à l’image de ce qui s’est déjà produit dans d’autres États fragilisés du Sahel.

 

Face à cette situation critique, la réaction des autorités, bien que spectaculaire et relayée par les médias officiels, reste insuffisante et, parfois, sélective. Si l’action sécuritaire est nécessaire, elle ne peut se substituer à une politique structurelle. Or, ce que l’on constate aujourd’hui, c’est une tendance à instrumentaliser ces scandales : certains dossiers sont exploités à des fins politiques, pour discréditer des adversaires ou renforcer l’arsenal répressif. Sans volonté réelle de réformer, sans indépendance judiciaire garantie, sans assainissement profond de la vie publique ni transparence sur le patrimoine des hauts responsables, ces coups de filet ne feront que masquer temporairement les symptômes d’une maladie bien plus grave.

 

Il devient dès lors impératif de susciter un sursaut collectif. La société mauritanienne, dans toutes ses composantes ; citoyens, médias indépendants, associations, intellectuels, jeunesse ; doit refuser la banalisation de la criminalité élitaire. Elle doit exiger des comptes, briser les silences complices, faire pression pour des réformes authentiques. L’enjeu dépasse de loin la simple morale publique : il s’agit de préserver la santé physique et morale des générations futures, de restaurer la crédibilité des institutions, et surtout, de sauver ce qui reste de l’autorité et de la souveraineté de l’État mauritanien. Ce scandale, aussi choquant soit-il, pourrait être l’occasion d’une prise de conscience nationale. À condition que personne ne détourne le regard.

 

Haroun Rabani,

Ancien officier

[email protected]