L’économie mauritanienne repose sur ses ressources du sous-sol : en 2024, les industries extractives ont contribué à hauteur de 19,4 % au PIB et représenté 76 % des exportations, malgré une conjoncture minière mondiale moins favorable.
Traditionnellement portée par le minerai de fer, la Mauritanie a vu l’or prendre la tête de ses exportations (41 %) devant le fer (33,4 %) et bien devant les hydrocarbures dont l’exploitation commerciale démarre tout juste. Le groupe public SNIM demeure le premier contributeur sectoriel, assurant plus de 68 % des recettes minières, suivi de TMLSA (Tasiast) avec 27 %.
Sur la période 2023-2024, les performances se sont avérées contrastées : le chiffre d’affaires de la SNIM a reculé de près de 10 % en raison de la baisse des cours internationaux, tandis que la part de TMLSA augmentait, portée par la hausse de la production d’or, qui dépasse désormais 15 tonnes par an.
Le chantier gazier Grand Tortue Ahmeyim (GTA), opéré avec BP et Kosmos, promet de bouleverser la donne : les premières extractions devraient rapporter entre 500 et 630 millions de dollars par an sur trente ans, soit 15 à 19 milliards cumulés selon les projections.
Même avec une quote-part limitée à 10 %, la Mauritanie entend capter au moins 25 % de retombées fiscales et parapubliques, avec des recettes attendues supérieures à 11 % du total des exportations dès 2025. Par ailleurs, la mise en exploitation du gisement offshore Bir Allah, l’une des plus grandes réserves de gaz d’Afrique (jusqu’à 3900 milliards de m³) porte les espoirs d’un second souffle après 2027.
La croissance mauritanienne devrait accélérer à 14,3 % en 2025 selon le FMI, grâce à l’entrée en production gazière et la remontée attendue des métaux. Mais le secteur extractif reste un faible pourvoyeur d’emplois directs : 9165 salariés dont moins de 1 % d’expatriés, soit à peine 1 % de la population active.
TMLSA (Tasiast) se distingue par la mauritanisation de 98 % de ses effectifs et des efforts ciblés pour diversifier ses recrutements, notamment avec la création d’un comité féminin de mine. La question du contenu local a pris un virage législatif début 2025 avec la Loi 2024-045, qui impose aux majors d’investir dans la formation, la sous-traitance et le savoir-faire national, sous la houlette d’un Conseil dédié créé la même année.
Pourquoi créer une Chambre des industries extractives ?
Le poids fiscal du secteur reste conséquent : près de 25 % des recettes publiques en 2024, en retrait toutefois des niveaux records de 2021-2022. L’effritement des recettes lié au cycle minier et à l’épuisement progressif de certains gisements (la production d’or devrait baisser de 23,5 % en 2025) expose la Mauritanie à de brusques retournements. La diversification des filières, l’intégration industrielle et la planification d’après-mine, deviennent des priorités politiques et sociales.
Le pays, qui dispose de 10 milliards de tonnes de minerai de fer, plus de 150 millions d’onces d’or, 28 millions de tonnes de cuivre, et des réserves de gaz records dans la sous-région, possède incontestablement de quoi attirer investisseurs et partenaires stratégiques, à condition de structurer solidement les filières et d’accélérer le transfert de valeur vers l’économie réelle.
Face à ces enjeux, la création d’une chambre de commerce dédiée permettrait d’apporter expertise, coordination sectorielle, et dialogue renforcé. Ces trois aspects sont aujourd’hui peu institutionnalisés de façon structurée.
Actuellement, la CCIAM traite de façon globale tous les secteurs productifs sans expertise pointue pour le minier, l’Union du Patronat intervient comme organe transversal de lobbying, sans force de proposition technique sur l’extractif, et les fédérations (mines, hydrocarbures, sous-traitants) manquent de moyens pour structurer le dialogue avec l’État ou peser dans les grandes orientations stratégiques.
En s’inspirant des modèles marocain (Chambres des mines) ou ivoirien, une telle structure centraliserait la défense des intérêts du secteur auprès des pouvoirs publics : fiscalité, normes, stabilité réglementaire, gestion des infrastructures. Elle animerait aussi des « clubs métiers » (sécurité, environnement, formation, contenu local) et jouerait un rôle de veille technologique, contribuant à la professionnalisation des acteurs et à leur intégration dans les filières de sous-traitance.
La chambre accueillerait aussi bien SNIM, Tasiast, que les PME opérant dans le forage, l’ingénierie ou l’environnement, ainsi que les centres de formation spécialisés. Elle organiserait des instances de concertation avec les ministères techniques (Mines, Énergie, Industrie), les collectivités locales des bassins extractifs, et dynamiserait le dialogue social dans les zones de forte activité minière ou pétrolière.
Parmi ses missions visibles :
Centraliser la collecte de données sectorielles et piloter la conformité à l’ITIE (Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives).
Construire une plateforme numérique pour l’accès des sous-traitants nationaux aux marchés des majors.
Coordonner les stratégies de contenu local en suivant la feuille de route légale (2024-045), en lien avec le Conseil national dédié.
Porter des projets pilotes d’innovation (réduction de l’empreinte carbone, digitalisation, partenariats recherche-universités) afin de garder le secteur compétitif aux exigences mondiales.
Opérationnaliser la valeur ajoutée
L’enjeu principal : maximiser la création de valeur locale et la redistribution, tout en maintenant la compétitivité internationale. La loi sur le contenu local devrait s’accompagner de mécanismes de contrôle pilotés par la Chambre, pour garantir la transparence, l’accès des PME mauritaniennes, et la montée en compétence de la main-d’œuvre. Des audits annuels et des reportings publics seraient facilités, ce qui renforcerait la crédibilité du secteur, souvent critiqué sur l’opacité et les retombées jugées insuffisantes pour les populations locales.
A cela s’ajoute la possibilité pour cette chambre à travers des antennes locales de contribuer à la gestion des relations communautaires et locales, d’accompagner les opérateurs dans la gestion des crises environnementales, et de fournir des conseils techniques dans les zones d’intervention minière d’envergure.
Cependant, le chantier n’est pas anodin : il requerra une forte adhésion des majors, une capacité à négocier avec les pouvoirs publics, et une gouvernance interne exemplaire pour éviter les conflits d’intérêts ou l’enclavement institutionnel.
La création de cette chambre incarne une volonté de conjuguer attractivité pour l’investissement, contribution au développement durable, montée en gamme du contenu local, et résilience face aux booms et récessions du marché mondial. La Mauritanie, forte de ses ressources, entend éviter la « malédiction des matières premières » et transformer son destin extractif en moteur pour l’ensemble de son économie.
À condition de jouer pleinement son rôle à l’interface de toutes les parties prenantes, la Chambre des industries extractives pourrait très vite s’imposer comme un acteur clé du paysage économique national, et un symbole d’une nouvelle étape de maturité institutionnelle au service de la souveraineté mauritanienne
Par Alpha Seydi Ba, Expert Senior en Communication Stratégique et Relations Publiques dans les Industries Extractives.
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