Visite éclaire du Président mauritanien en Algérie : Ghazouani, le miraculé de Tindouf!

Premier président de Mauritanie à se rendre dans la Saoura, Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani est-il le premier visé par la mort de son aide de camp de longue date, Mohamed Ould Chibani, advenu dans des circonstances troubles en marge de son déplacement dans la voisine de l’Est?

Un quart d’heure avant sa mort, Mohamed Ould Chibani était encore en vie. Une lapalissade, il est vrai, mais en tout cas la seule certitude que l’on ait dans le moment présent sur les dernières minutes passées sur cette terre, et plus précisément à Tindouf, de cet aide de camp de longue date du président mauritanien Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani: est-ce vraiment un simple et malheureux accident de voiture qui a mis fin à ses jours? Ou s’agit-il plutôt, comme d’aucuns le croient de plus en plus, d’un attentat en règle commis à son encontre? Des questions lancinantes qui ne trouveront peut-être, hélas, jamais de réponse tranchée, d’autant que la Mauritanie elle-même donne l’impression d’expédier rapidement la chose en ayant procédé à l’enterrement à Nouakchott, le 23 février 2024, de Mohamed Ould Chibani dès le retour de son corps au pays depuis l’Algérie, où le concerné accompagnait, justement, Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani dans la visite qu’il a effectuée le 22 février 2024 dans la voisine de l’Est; nulle autopsie donc comme on pourrait s’y attendre en de telles circonstances, et encore moins le moindre semblant d’enquête.
 

Hypothèses ébauchées
“Ce qui est sûr, c’est que l’affaire n’est pas du tout normale, loin s’en faut”, commente un observateur régional averti. Mais que chercherait donc exactement à mettre sous le tapis le pouvoir mauritanien? Pourquoi ne fait-il, ainsi, pas tout pour tirer l’histoire au clair, d’autant qu’elle concerne un des personnages les plus proches du chef de l’État, et que c’est surtout dans un pays étranger, qui n’est en plus pas n’importe quel pays, que tous les fils se sont tissés? Dans la vie comme avant tout en diplomatie, la règle veut qu’il n’y ait pas d’action sans qu’il n’y ait d’intérêt, et le fait est qu’il est évident que rien n’incite, dans le présent cas, Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani à vouloir mettre la main dans le cambouis.
 

Qu’il ait lui-même quelque chose à se reprocher est, de prime abord, fort douteux, car c’est lui qui avait fait en sorte que Mohamed Ould Chibani soit mis en orbite, en le gardant à ses côtés depuis l’époque où il dirigeait le chef d’état-major des Forces armées de la République islamique de Mauritanie (FARIM), et se risquer à entacher par un assassinat une visite d’État en Algérie, dont la junte militaire algérienne semblait, en apparence, vouloir retirer un bénéfice politique, n’est sans doute pas le plus indiqué. Mais quelles que soient les hypothèses ébauchées, on peut gager que les forces de sécurité algériennes assument une part de responsabilité: soit parce qu’elles n’ont pas bien fait leur travail et qu’elles n’ont pas su sécuriser la route empruntée par le convoi où se trouvait Mohamed Ould Chibani, soit parce que c’est elles qui l’auraient tout simplement liquidé. Scénario fantaisiste?
 

Isolement diplomatique régional
En tout cas, pas si l’on prend en compte l’ensemble des circonstances qui ont entouré la visite de Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani à Tindouf, la première d’un président mauritanien dans la Saoura. Premier fait important: c’est sur un invitation du président algérien Abdelmadjid Tebboune, qui avait précédé de quelques heures son homologue sur place pour “une visite de travail et d’inspection” que ce déplacement s’est fait, et cela dans un contexte d’isolement diplomatique régional de plus en plus flagrant de l’Algérie. Quel est exactement ce contexte? C’est essentiellement celui de relations totalement coupées avec le Maroc depuis août 2021, sur fond d’accusations farfelues d’une implication du Royaume dans les feux de forêts en Kabylie, mais c’est aussi à la suite du froid avec les pays du Sahel en raison des tentatives d’ingérence d’Alger dans leurs affaires: le 22 décembre 2023, le Mali en était, à titre d’exemple, arrivé jusqu’à rappeler son ambassadeur en Algérie après que la diplomatie de cette dernière a convié chez elle des séparatistes touaregs nord-maliens, sans en avoir avisé au préalable avisé Bamako.
 

Et cela ramène de facto au deuxième fait: à savoir qu’en dehors de la Tunisie, devenue quasiment une wilaya algérienne qui obéit au doigt et à l’oeil depuis qu’un prêt de 300 millions d’euros lui avait été consenti en décembre 2021, seule la Mauritanie peut offrir un débouché dans l’environnement direct à la partie algérienne. Or, il se trouve que cette même Mauritanie pourrait être susceptible de rejoindre, dans le même sillage du reste des États sahéliens (Burkina Faso, Mali, Niger et Tchad), l’initiative lancée le 6 novembre 2023, à l’occasion de la commémoration du 48ème anniversaire de la Marche, par le roi Mohammed VI en vue de favoriser leur accès à l’océan Atlantique; ce qui serait alors de nature à totalement enclaver l’Algérie.
 

En tout cas, on sait que le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, et ce de sa propre bouche, s’en était ouvert dès le 20 décembre 2020 à son homologue mauritanien Mohamed Salem Ould Merzoug, présent à Marrakech pour la sixième édition du Forum de coopération Russie-monde arabe, et que Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani a par la suite prêté une oreille suffisamment attentive à la proposition marocaine pour près d’un mois plus tard, à savoir le 22 janvier 2024, dépêcher son chef de la diplomatie à Rabat pour en discuter davantage (“Sa Majesté le Roi considère que la Mauritanie joue un rôle et a une place dans le cadre de son initiative visant à faciliter l’accès des pays du Sahel à l’océan Atlantique”, déclarera même, dans la foulée, Nasser Bourita à la presse).
 

Et de toute façon, on voit mal la Mauritanie refuser à des pays voisins de recourir à ses infrastructures pour atteindre la mer. Hasard du calendrier qui est assurément loin d’en être un, Abdelmadjid Tebboune annonçait le 24 décembre 2023 lors d’un conseil des ministres présidé par ses soins à Alger, et ce, au passage, au lendemain même de la tenue au Maroc d’une réunion de suivi de l’initiative royale pour le Sahel ayant compté la présence des ministres des Affaires étrangères burkinabè, malien, nigérien et tchadien, “le lancement immédiat d’une étude approfondie en prévision de la création d’une zone de libre-échange contribuant à la diversification des activités économiques et la création d’une dynamique dans la région, notamment le long des frontières entre l’Algérie et la Mauritanie”, selon les termes du communiqué relayé dans la foulée par l’agence Algérie presse service (APS).
 

Mémorandum d’entente
Et il faut croire que c’est au même moment qu’une invitation a été adressée à Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani pour se rendre à Tindouf. “Avant l’initiative royale, l’Algérie ne bougeait pas du tout, il n’est donc pas exagéré de dire qu’elle est en train de réagir contre le Maroc”, décortique une source diplomatique régionale.
 

Preuve s’il en faut une autre, c’est en parallèle que l’Algérie a fini par finaliser son projet de poste-frontière au niveau du point kilométrique PK-75, à la frontière algéro-mauritanienne, alors qu’il devait être livré… dès octobre 2022! Et c’est enfin, aussi, dans le même contexte, que le projet de route devant relier, sur 840km, Tindouf à Zouerate, en Mauritanie, a été ressorti des cartons, alors que depuis la signature en décembre 2021, à l’occasion de la précédente visite de Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, d’un mémorandum d’entente bilatéral à cet effet, plus personne n’en avait parlé. Que le président mauritanien y trouve un intérêt pour son pays, cela va de soi, et on dira même sans cynisme aucun que c’est une bonne nouvelle pour ce Maghreb arabe que nous déplorions il y a encore quelques semaines (lire n° 1517, du 26 janvier au 1er février 2024) que voient le jour des projets de ce niveau entre les pays de la région; mais là où la problématique se pose, c’est au regard de la logique de jeu à somme nulle dans laquelle se trouvent les responsables algériens, aux yeux de qui il faut très clairement chasser le Maroc de la Mauritanie. C’est que depuis l’intervention, en novembre 2020, des Forces armées royales (FAR) dans la zone de tampon de Guergarate pour en déloger les milices du mouvement séparatiste du Front Polisario qui s’y étaient mis à bloquer la circulation des biens et des personnes avec le territoire mauritanien, le commerce bilatéral avec la voisine du Sud a totalement explosé, ayant par exemple bondi quelque trois ans plus tard déjà de 58%, comme s’en félicitait, dans un communiqué circonstancié, l’ambassade du Maroc à Nouakchott le 22 novembre 2023.
 

Ce que comprennent notamment les exportations marocaines, ce sont les produits alimentaires et agricoles (20% de fruits et légumes), les produits manufacturés et les machines et équipements de transport… soit exactement ce que voudrait aussi écouler l’Algérie, à en croire du moins l’intervention faite par Abdelmadjid Tebboune à Tindouf, qui a particulièrement mis l’accent sur l’huile et le sucre. D’aucuns diront que, certes, quiconque peut faire des affaires avec qui il veut, et que les Algériens ont tout le droit du monde de vouloir prendre des parts de marchés à leurs concurrents marocains, à ceci près que la façon de procéder n’y est pas du tout et tourne, de toute évidence, à l’agression: selon différentes sources diplomatiques régionales, l’Algérie n’est ainsi pas loin d’avoir inspiré l’augmentation, décrétée sans crier gare à la date du 1er janvier 2024, des frais de douane au niveau de Guergarate par la Mauritanie, de sorte que le commerce passe davantage par le point kilométrique PK-75 (où les échanges sont généralement moribonds depuis qu’ils ont officiellement commencé en août 2018, avant l’inauguration des tous nouveaux postes-frontières).
 

Affirmations que créditent le fait que Nouakchott n’y a absolument rien à gagner, étant donné qu’une telle décision ne fait que se répercuter par la négative sur le taux d’inflation dans le pays, et que même l’argument voulant que la Mauritanie cherche à produire davantage localement n’est pas du tout recevable du simple fait que, valeur maintenant, elle n’est pas en mesure de répondre à tous ses besoins (à commencer par ceux agricoles).
 

Image retirée.
 

Exportations marocaines
Mais comment alors contraindre les Mauritaniens? Par le pécuniaire? Sur ce point, le Maroc, déjà fortement présent financièrement, est pleinement susceptible de répondre du tac-au-tac. Par le corps alors? Dans ce cas, la mort de Mohamed Ould Chibani, ou l’avertissement qu’elle pourrait constituer, trouverait une explication tout-à-fait plausible. Quoiqu’il en soit, de telles méthodes ont déjà été mis en oeuvre par le régime algérien à l’encontre des dirigeants mauritaniens, comme notamment l’ancien président Moktar Ould Daddah en savait quelque chose: après sa décision de se concerter avec le Maroc au sujet du Sahara marocain, le président algérien de l’époque, à savoir Houari Boumédiène le menaça directement dans son intégrité physique en novembre 1975 à Béchar, où il l’avait convoqué, et il alla jusqu’à financer, en juin 1976 puis en juillet 1977, deux raids du Polisario sur Nouakchott où il aurait pu être tué.
 

“Avec un patron de l’armée comme [le général Saïd] Chengriha, ces façons de faire qui peuvent sembler révolues peuvent toutà- fait être remises au goût du jour”, confie un de nos interlocuteurs. Depuis son palais présidentiel de Nouakchott, Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani a, pour sa part, choisi de se murer dans un silence total au sujet de Mohamed Ould Chibani, dont on disait aussi qu’il était un ami proche. Peut-être redoute-t-il de se retrouver lui aussi, trop tôt, à monter en haut: une autre lapalissade dont il se passerait bien aussi

L'Hebdo